samedi 10 avril 2021

 Albert Calmette


(Nice, 12 juillet 1863 – Paris,  29 octobre 1933)




[1]


En ces temps troublés de pandémie Covid 19, il nous a paru intéressant de revenir sur le parcours du Dr Albert Calmette, qui, tout jeune médecin, fit un séjour dans l’archipel comme médecin de marine,  et dont une rue de Saint-Pierre porte le nom depuis 1989. 

Le 22 avril 1888, l'aviso transport de la marine nationale Drac arrive à Saint-Pierre. Il a quitté Lorient le 3 mars précédent. Mis en service en 1879, le bâtiment est d'abord affecté à la Division navale d'Extrême-Orient, puis à la Division navale de Terre-Neuve en 1886 avant de rejoindre les Antilles en 1889.

A son bord, un jeune couple auquel le commandant Reculoux [2], capitaine de frégate, a cédé sa cabine, la jeune épouse étant la seule femme à bord. Elle a pu embarquer grâce à l'intervention de  l'amiral Berhic, son oncle. Son mari, jeune médecin de deuxième classe de la marine, vient d'être affecté à l'hôpital militaire de Saint-Pierre. Ce médecin d'à peine vingt-quatre ans s'appelle Albert Calmette. Son destin est en marche. [3]


Un peu d'état civil


Léon Charles Albert Calmette est né le 12 juillet 1863 à Nice. Son père, Guillaume Calmette (1822-1906), avocat de formation, était alors chef de cabinet du préfet de Nice. Sa mère, Adèle Reine Charpentier, était née à Epernay le 4 mars 1828. 




La maison natale d’Albert Calmette [4]


C'est dans cette même ville qu'elle avait épousé Guillaume Calmette le 15 septembre 1847. Ils auront trois enfants, trois garçons. L'aîné, Emile Louis (1851-1934) sera médecin. Gaston (1858-1914), journaliste, dirigera Le Figaro à partir de 1903. Il connaîtra une fin tragique, assassiné le 16 mars 1914 par Henriette Caillaux, l'épouse de Joseph Caillaux, alors ministre des Finances dans le gouvernement Doumergue, victime depuis des mois d'une campagne de dénigrement dont Le Figaro se faisait le relais.




Mme Caillaud assassine Gaston Calmette,

Directeur du Figaro [5]

Le jeune Albert va perdre sa mère deux ans après sa naissance. Son père se remaria peu après (2 mai 1866) avec Marie Quiney (1837-1916), qui adoptera Albert et ses deux frères, l’éduquera jusqu’à dix ans et sera une véritable mère pour eux.

Albert Calmette est scolarisé à Clermont-Ferrand, Brest, Saint-Brieuc et Paris, au gré des affectations de son père. C’est au lycée Saint-Louis de Paris qu’il obtient un baccalauréat scientifique avant d'intégrer  l'école de médecine de la Marine à Brest en 1881, à défaut d’avoir pu poursuivre ses études à l’École navale, ayant contracté la fièvre typhoïde, sans doute à cause des conditions de vie déplorables à bord du Borda, qui abritait l’Ecole navale. Durant sa formation, il participe à la campagne de Chine (1883-1884) avec l'amiral Courbet. Il profitera de ce séjour pour étudier la malaria, qui constitua le sujet de sa thèse de doctorat, qu’il soutiendra en juillet 1886 à Paris. Tout jeune médecin, il est affecté comme chirurgien de la Marine en Afrique occidentale française. Durant ce séjour, il étudie les maladies tropicales et commence à publier dans les Archives de médecine navale. Il contracte aussi le paludisme, qui provoque de fréquents accès de fièvre. Il rentre en France en novembre 1887.

Avant de prendre la mer pour sa nouvelle affectation, il épouse à Lamballe, le 11 février 1888, Emilie de la Salle, née le 18 juillet 1864 à Escurolles dans l'Allier. Les grands-parents paternels se sont eux aussi mariés dans cette petite ville des Côtes d’Armor. On rappellera qu’ Albert Calmette avait étudié un temps non loin de Lamballe, au lycée Saint-Charles de Saint-Brieuc, où son père occupa le poste de secrétaire général de la Préfecture.




Emilie de La Salle [6]


Albert Calmette à Saint-Pierre


L'hôpital de Saint-Pierre, qui dessert une population de 6 000 habitants, qui monte à une dizaine de mille pendant la saison de pêche, est tenu par des religieuses et emploie trois chirurgiens. En 1888, y exercent le docteur Saffre, médecin-chef, et le médecin principal Barret, qui fut le professeur de Calmette à Brest.




L'hôpital de Saint-Pierre

Photo Dr Dhoste

Calmette exerce non seulement  à l'hôpital, mais aussi à Miquelon, après le décès du Dr Delamare, et il reçoit la clientèle de la ville. «  Il soigne les pêcheurs, leurs affections pulmonaires brutales, leurs phlegmons de la main, leurs furoncles. Il assure la chirurgie, l'ophtalmologie, l'oto-rhino-laryngologie. Il fait les accouchements difficiles. » [7]




Panorama du centre-ville de Saint-Pierre tel que le Dr Calmette a dû le connaître.

On aperçoit l'hôpital (édifice blanc sur la droite), ainsi que le Skating Rink (patinoire), 

le hangar sur la gauche, où il allait patiner.

Photo Dr Dhoste


Dans une lettre adressée au Dr Armand Corre, qui fut son professeur à l’Ecole de médecine navale de Brest , Albert Calmette décrit ainsi ses conditions de travail:

 “Je devais servir à l'hôpital maritime. Nous étions deux médecins pour une population de près de 6 000 âmes. Comme mon chef était fréquemment malade, je dus assumer, presque toujours seul, la charge de donner des soins de toutes sortes à tous ces braves gens et à leurs familles. Du matin au soir après mon service d’hôpital, et par tous les temps, je circulais dans la ville de Saint-Pierre et dans les environs. Il me fallait prendre toutes les responsabilités et toutes les initiatives. Aidé de trois matrones, je faisais les accouchements et j’appris ainsi toutes les difficultés de l’obstétrique. Je dus aussi pratiquer les opérations chirurgicales les plus variées, depuis les amputations des membres jusqu’aux cataractes! Ce fut une rude école et combien profitable à ma jeune expérience…” [8]

A Saint-Pierre, Calmette, qui s'intéresse à la microbiologie depuis ses années d'école de médecine, va étudier le « rouge de la morue ». En effet, la morue, entassée dans les entrepôts, les cales ou les sécheries, s'altère et devient invendable. D'ailleurs, une circulaire du ministre du Commerce du 31 décembre 1885 en interdit strictement la vente, soulevant la colère des ports morutiers pour qui le manque à gagner est considérable. Ces recherches constituent un enjeu économique plus que sanitaire.

Dès 1889, fort de ses lectures et de son expérience dans ses précédentes affectations, et malgré des moyens matériels dérisoires,  Calmette réussit à isoler le rouge grâce à des cultures successives et établit le lien avec les sels d'Espagne et du Portugal. Ses travaux paraîtront dans une brochure intitulée Le rouge de la morue, ses causes, les moyens de le prévenir, éditée par l'Imprimerie du Gouvernement des Iles. Sur l’île de Groix, le Dr Le Dantec, est arrivé aux mêmes conclusions.

Cette même année 1889, le 21 juillet, il perd son premier enfant, Georges, né le 8 octobre précédent, des suites d’un choléra infantile. Son corps sera rapatrié en France sur le vapeur Nautique.

Deux autres fils naîtront par la suite: Georges, à Paris, en 1894 et André, à Lille, en 1898. Georges sera tué en mai 1940 à Douai, lors de l’offensive allemande.

Le jeune couple habite rue Gervais (actuelle rue Maréchal de Lattre de Tassigny), assisté de leur domestique basque Bibliana, dans une maison à l’emplacement de la boucherie Isidore Gautier et de l’actuel commerce Infotec. [9]




Albert Calmette et son épouse

à l’époque de leur séjour dans l’Archipel [10]


Toujours en 1889, le 24 août, le Dr Calmette assista à l’exécution capitale de Joseph Néel sur la place Courbet (où s’élève aujourd’hui l’école de L’Ile-aux-Enfants). La légende veut que Calmette ait demandé à ce qu’on lui réserve le corps pour y pratiquer l‘anatomie. Mais l’un des deux exécuteurs ayant dû achever le décollement de la tête de Néel avec un couteau, il y  renonça. Le corps fut donc transporté immédiatement au cimetière. [11]

Le 13 février 1890, le docteur Saffre quitte Saint-Pierre et Albert Calmette se retrouve chef du service de santé de l'Archipel.

L’expansion coloniale de la seconde moitié du XIXe siècle demande de plus en plus de médecins et de pharmaciens capables de répondre aux problèmes propres à l’outre-mer. C’est pourquoi le gouvernement décide, en 1890, d’ouvrir une École de Santé navale et coloniale à Bordeaux et de créer un Corps de Santé colonial. Plusieurs médecins et pharmaciens en poste outre-mer vont opter pour ce nouveau Corps. [12] C’est le cas de Calmette, qui va également demander à pouvoir suivre un stage à l'Institut Pasteur. Le 1er juin, il quitte Saint-Pierre avec son épouse. Ils vont rentrer en France par le chemin des écoliers : Halifax, Québec, Montréal, Toronto, Buffalo, Albany, New York. La traversée de New York à Bordeaux, via les Açores, s'effectue sur le paquebot Bretagne, qui atteint sa destination le 20 juin 1890.



Calmette, Roux et Pasteur 


Calmette aurait dû rejoindre l'hôpital militaire de Toulon, mais le 28 juillet, il est nommé médecin de première classe des troupes coloniales. Cela lui permet de suivre les enseignements de Pierre Paul Emile Roux, un expert reconnu de microbiologie et d’immunologie, des sciences alors nouvelles. Le Dr Roux, proche collaborateur de Pasteur, avec qui il a fondé l’Institut du même nom, consacra sa vie à l’étude des microbes et des maladies infectieuses.

Il décèle vite les aptitudes de Calmette, puisque dès l’année suivante, Pasteur le charge d’aller créer une filiale de l’Institut à Saïgon. Ce sera le premier Institut hors de France. Il répondait aux besoins de l’administration coloniale, soucieuse de développer une médecine tropicale permettant de faire face aux conditions de vie dans les colonies.

Albert Calmette et son épouse arrivent à Saïgon le 8 janvier 1891.  Calmette va y déployer une activité considérable, organisant la production de vaccins contre la variole et la rage, multipliant les recherches sur les poisons, le choléra, la fermentation de l’opium et du riz. Quelques années plus tard, Calmette estimera que les vaccins ont rendu “l’oeuvre coloniale éminemment humanitaire et civilisatrice”. 




 Le buste d’Albert Calmette devant l’Institut Pasteur

à Ho-Chi-Minh-Ville, ex Saïgon [13]


Il y retrouve le pharmacien de marine Joseph Auguste Pottier, qu’il a connu à Saint-Pierre et avec qui il allait souvent patiner au Skating Rink. Les deux familles seront réunies par les liens du mariage, puisque Georges Calmette épousera Odette Pottier.

De retour en France en 1894, victime d’une dysenterie sévère, Calmette met au point les premiers antivenins contre les morsures de serpent. Il collabore, avec le Dr Alexandre Yersin, le découvreur du bacille de la peste, qu’il a connu au Vietnam,  à la mise au point du premier sérum contre la peste bubonique, se rendant au Portugal pour lutter contre une épidémie de ce type. 

L’année suivante, le Dr Roux va lui confier la direction du tout nouvel Institut Pasteur de Lille, poste qu’il occupera jusqu’en 1919. Calmette y fondera, en 1901, le dispensaire Emile-Roux pour lutter contre la tuberculose.

C’est à Lille que Louis Pasteur a posé les bases de la microbiologie moderne. Il y a été le premier doyen de la Faculté des sciences (1854-1857), avant de rejoindre Paris et de prendre la direction de l’École Normale Supérieure.

C’est suite à une sévère épidémie de diphtérie à Lille en 1894 que son collaborateur, Emile Roux, qui vient de mettre au point un sérum contre la maladie, propose d’y créer une filiale de l’Institut Pasteur ouvert quelques années plus tôt à Paris, dont la direction est confiée à Calmette.

Louis Pasteur est décédé depuis plus de trois ans quand l’Institut Pasteur de Lille est inauguré le 9 avril 1899. Sur les 972 00 Francs qu’il a coûté, Albert Calmette en aura financé 300 000 sur ses ressources propres.




La famille Calmette en 1910: Les trois frères, debout, de gauche à droite: 

Émile Louis, médecin-inspecteur du 19e Corps, Albert Calmette et Gaston, directeur du Figaro,

 assassiné le 15 mars 1914. Assis, Mme Calmette et les deux enfants de Gaston. [14]


A l’Institut Pasteur de Lille sont associées les recherches sur le bacille de la tuberculose, fruit de la collaboration entre Albert Calmette et Camille Guérin, un vétérinaire.

Ils poursuivront leurs recherches pendant la Première Guerre mondiale, malgré l’occupation de Lille par les Allemands. Calmette est affecté à la Première Région militaire; il y organisera les hôpitaux militaires auxiliaires. Il fut soupçonné par l’ Occupant d’élever des pigeons voyageurs. Or ces pigeons lui servaient pour ses travaux sur la tuberculose aviaire. Son épouse fut même emmenée comme otage en Allemagne.

Nommé sous-directeur de l’Institut Pasteur de Paris en 1917, il ne rejoindra la capitale qu’en 1919. Il y retrouve ses collègues Guérin, Bognet et Le Nègre. Ensemble, ils vont reprendre leurs travaux, débutés en 1903, et aboutir, en 1921, à la mise au point d’une réponse immunitaire contre la tuberculose, le fameux BCG, testé avec succès pour la première fois sur des nouveau-nés à l’Hôpital de la Charité de Paris. Le nom de Calmette était définitivement attaché à l’histoire de la médecine. En 1931, 100 000 nouveau-nés étaient déjà vaccinés chaque année.

Les distinctions vont se multiplier durant ces années: élection à l’Académie de médecine en 1919, à l’Académie des sciences d’outre-mer en 1922, à l’Académie des sciences en 1927. 

En 1930, bien que totalement exonéré de toute responsabilité, et sans que l’efficacité du BCG soit remise en question, Albert Calmette fut profondément affecté par le décès de 73 enfants vaccinés à Lübeck, suite à des erreurs de dosage.

Albert Calmette s’éteint à Paris le 29 octobre 1933, en son domicile du 25 de la rue Dutot, aujourd’hui rue du Dr Roux, adresse du premier Institut Pasteur, dans le 15e arrondissement. Il est inhumé, ainsi que son épouse, dans le parc de la propriété Bourget-Calmette à Jouy-en-Josas. Le Dr Calmette fut autorisé à utiliser cette propriété, léguée à l’Institut Pasteur, comme maison de campagne, moyennant des travaux d'entretien et de restauration.




La rue Dutot vers 1900 

On aperçoit, sur la droite, les grilles de l’Institut Pasteur. [15]


Calmette fut un infatigable chercheur, dévoué à la cause de l’hygiène et de la santé publique. Il préfigurait les “médecins sans frontières” d’aujourd’hui [16], à ceci près qu’il pratiquait dans l'immense empire colonial français. Il multiplia aussi les publications dans toutes sortes de domaines; sa bibliographie est impressionnante.


Ce n'est qu'en 1989 (arrêté municipal No 46 du 2 juin 1989) qu'une rue de Saint-Pierre prit le nom d'Albert Calmette, même si l'ancien maire de Saint-Pierre, Joseph Lehuenen, en avait fait la suggestion à son successeur dès 1975. [17] Située au sud-ouest du groupe scolaire Henriette Bonin, elle relie les rues Paul Audouze et Pierre Frioult.




La rue Calmette
(Cliché de l’auteur, 9 avril 2021)


                   


                     Michel Le Carduner


                                                    Avril 2021



Notes


  1. Source: Association Amicale Santé Navale et Outremer.

  2. Le capitaine de vaisseau Auguste Pierre Reculoux connaîtra une triste fin.

Voir Parcours de vie dans la Royale http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_reculoux_auguste.htm

  1. Roger Kervran, Albert Calmette et le B.C.G., Hachette, 1962, chapitre VI, pp. 55-66.

  2. Source: http://maisons.natales.over-blog.com/2014/05/alpes-maritimes-06.html

  3. Source Wikipedia, article Henriette Caillaux https://fr.wikipedia.org/wiki/Henriette_Caillaux

  4. Source: Association du patrimoine hospitalier du Nord. 

  5. Roger Kervran, op. cit., page 59.

  6. Charles Guyot-Jeannin, De quelques médecins et pharmaciens de la Marine (puis des Colonies) qui servirent aux îles Saint-Pierre et Miquelon au cours du XIXe siècle, Communication présentée à la séance du 24 novembre 1984 de la Société française d’histoire de la médecine, pp. 384-385.

https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1984x018x004/HSMx1984x018x004x0381.pdf

  1. Commentaires Jean Urtizberea, Retrouver tous documents sur Saint-Pierre et Miquelon,(Facebook), 30 janvier 2016.

  2.  Source: phototeque.pasteur.fr

  3.  Rodrigue Girardin, Crimes et délits à Saint-Pierre et Miquelon, Editions Azimut, 2015, pp. 95-125.

  4.  Michel Reynier, Les pharmaciens-chimistes de la Marine Un périple de cinq siècles avec escales à Montpellier, Conférence du 27 janvier 2006 à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, Con.n° 3950, Bull. 37, 2007, pp. 179-195. 

  5.  Source: phototeque.pasteur.fr

  6.  L’Illustration, Années 1914-1916, Le Livre de Paris, 1985, Vol. 11, page 16.

  7.  Source: Les rues de Paris Paris d’antan http://www.parisrues.com/rues15/paris-avant-15-rue-dutot.html

  8.  Jean-Pierre Gomane, Les marins et l’outre-mer, Denoël, 1988, pp. 211-212.

  9.  Lettre de Joseph Lehuenen du 16 janvier 1975 adressée au sénateur-maire. Archives municipales.



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