Sauveur Ledret
( Saint-Pierre, 8 juin 1849 – en mer, fin 1895)
Si l'on identifie assez aisément les rues de Saint-Pierre dont le nom évoque des héros de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, il est moins aisé de repérer celles qui se rapportent à la Guerre de 1870. Et ce d'autant plus qu'elles sont très rares: au nombre de trois: Chanzy, Margueritte et la rue Sauveur Ledret. C'est la vie de ce dernier que nous allons tâcher de retracer ici.
La rue Sauveur Ledret, vue depuis la rue Albert Briand
Cliché de l'auteur, août 2019
Un peu d'état civil
Charles Sauveur Ledret est né le 8 juin 1849 à Saint-Pierre. Son père, Charles Léopold, était né à Saint-Servan le 10 mars 1816. Le 21 janvier 1847, il épousait à Saint-Pierre Héloïse Sophie Gautier, née à Miquelon le 2 novembre 1825. La mère de cette dernière, née Sophie Aimée Girardin, à La Rochelle le 20 août 1803, avait épousé Jean Baptiste Valéry Gautier, originaire de Saint-Pierre, le 23 octobre 1821 à Saint-Pierre.
Du mariage de Charles Léopold et Héloïse Sophie vont naître sept enfants, dont Charles Sauveur, l'aîné, qui se mariera à Bordeaux le 26 août 1879 à Marie Alida Chavalerias, née dans cette même ville le 11 février 1852, fille de Jean Chavalerias [1] et Marie Amestoy.
A quoi ressemblait Sauveur Ledret? En l'absence de photographie, voici la description qui en était faite sur le rôle des inscrits maritimes de Saint-Malo: « taille: 1,62 m visage ovale, front haut, yeux bruns, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, cheveux bruns ». [2]
Les Ledret : de Saint-Servan à Saint-Pierre
Quand les îles sont rendues à la France par le traité de Paris du 30 mai 1814, Joseph-François Ledret se trouve à Saint-Servan. Agé de 32 ans, il a déjà six enfants. Pour avoir été victime de la déportation de 1793-1794, il bénéficie de l'aide de l'Etat, comme bon nombre de Saint-Pierrais et Miquelonnais, dispersés depuis le milieu des années 1790 dans les ports de la façade ouest, de Boulogne à Bordeaux, en passant par Saint-Malo, Brest, Nantes ou La Rochelle.
Désireux de revenir s'établir dans les îles, il envoie, dès 1815, son fils aîné Valéry Joseph, tout juste âgé de 18 ans, qui effectue la traversée sur l'Auguste. [3]
Les débuts sont difficiles. En 1819, la famille de Joseph-François, qui s'est agrandie de trois enfants, reçoit des magasins royaux une aide alimentaire durant les mois de janvier à mai. [4]
Cette même année, une de ses filles, Françoise Jeanne, née à Saint-Servan le 18 novembre 1799, épouse Mathurin-François Beaupur, un militaire né à Rochefort le 26 novembre 1789. L'année suivante, c'est Valéry Joseph qui unit son destin à celui d'Eugénie Jeanne Forestier, elle aussi native de Saint-Servan.
En 1821, François-Joseph décède.
En 1824, le 19 octobre, sa fille Zélie Caroline épouse Jean-Baptiste Sauveur, né à Saint-Malo le 11 décembre 1796, et qui exploite une ferme sur l'isthme de Langlade. [5]
Il faudra attendre ensuite 1847 pour voir Charles-Léopold épouser Eloïse Gautier, née le 2 mars 1825 à Miquelon. Les parents d'Éloïse, Joseph et Appolline Vigneau, avaient été déportés en France en 1794-1795. Dernière de la fratrie à se marier, Euphémie, née à Saint-Servan en 1812, épouse en 1848 Léandre Charles Philipot, originaire de Saint-Servan lui aussi, et issu d'une famille malouine implantée à Saint-Pierre depuis au moins un siècle.
Une vocation de marin
Sauveur, venant des Mousses, est inscrit le 19 mars 1866 – il n'a pas encore 17 ans – Il embarque d'abord comme novice sur la goélette Stella Maris armée au cabotage puis sur la goélette Union armée à la grande pêche. L'année suivante, il embarque de nouveau sur cette dernière comme matelot, avant de devenir patron de la pirogue Diane. [6]
Registre des équipages
Appartenant à la classe 1869 de Saint-Servan, il doit se rendre en France pour y effectuer son service militaire dans la marine impériale.
Or le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. La guerre franco-allemande va être marquée par tout une série de défaites dont celle de Sedan, le 2 septembre 1870, où Napoléon III fut fait prisonnier. Deux jours plus tard, la république était proclamée à Paris, dont les députés républicains formèrent un gouvernement de défense nationale.
Les ballons montés
Dès 1855, le célèbre photographe Nadar avait suggéré d'utiliser les ballons pour établir des relevés cartographiques à partir de photographies aériennes. C'est ainsi qu'en avril 1870, il fonde la Compagnie des aérostiers militaires qui va signer un contrat officiel avec Léon Gambetta, ministre de l'Intérieur. Après deux échecs, le Neptune se pose à Craconville, près d'Evreux. C'est le début de la Poste aérienne du siège de Paris. Durant les 136 jours du siège de Paris, 66 ballons vont ainsi quitter la capitale, la plupart remplissant leur mission, certains tombant à proximité de Paris, et donc au milieu des lignes prussiennes, ou se retrouvant très loin de leur point de départ comme celui qui parcourut 3130 km pour se retrouver en Norvège...
Les courageux aérostiers furent recrutés parmi les marins des forts. L'école aéronautique comptait une trentaine de marins remplacés au fur et à mesure des départs. Si la formation fut souvent rudimentaire, seuls deux ballons subirent des accidents graves.
Le 7 octobre, Léon Gambetta, jeune député républicain qui avait joué un rôle actif dans la destitution de l'Empereur et la proclamation de la IIIe République, s'envolait à bord de l'Armand Barbès. Nommé ministre de l'Intérieur dans le gouvernement provisoire du général Trochu, il avait pour mission de rejoindre la délégation du gouvernement provisoire envoyée à Tours pour y organiser l'administration et les armées. Après avoir atteint l'Oise, il parvint à Tours en train, via … Rouen.
Carte Premier Jour
Centenaire de la poste par ballon monté 1871-1971
Source : https://www.multicollection.fr/Les-Ballons-montes-a-la-rescousse
22 décembre 1870: Gloire au « petit matelot »
Nous sommes le 22 décembre 1870, A 2 h 30 du matin, le Lavoisier quitte la gare d'Orléans (actuelle gare d'Austerlitz). A son bord, le capitaine Raoul François Charles Le Mouton de Boisdeffre et l'aéronaute Sauveur Ledret.
Ballon-poste type, le Lavoisier est sphérique, mesure une cinquantaine de mètres de circonférence pour un volume de 2045 m3. Il est gonflé au gaz de ville. Un filet de chanvre coiffe tout le ballon et supporte la nacelle, panier d'osier pouvant embarquer quatre personnes. Le ballon pèse 400 kg et peut emporter une tonne de charge.
Exemple de ballon monté
Source : https://blog.delcampe.net/les-ballons-montes/
La confection des filets et cordages est confiée à une trentaine de marins détachés des forts de Paris commandés par le vice-amiral baron de la Roncière-Le Noury, frère du comte Charles de la Roncière qui fut le gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon du 4 mai 1859 au 13 septembre 1863
C'est à la gare d'Orléans que 37 des 66 ballons montés seront construits sous la direction d'Eugène et Jules Godard. Pendant les quatre mois du siège, un ballon-poste va quitter Paris en moyenne tous les deux jours. Les départs se font dorénavant de nuit pour éviter les tirs ennemis.
Deux jours plus tôt, le général Trochu, président du gouvernement de la Défense nationale et gouverneur militaire de Paris a chargé le jeune capitaine de 31 ans de rejoindre au Mans le général Chanzy, commandant des armées de la Loire, pour l'alerter sur la faiblesse des réserves de nourriture dans la capitale.
Photo Pirou (Paris)
Source : http://military-photos.com/deboisdeffre.htm
Le Lavoisier emporte également 175 kg de courrier et 6 pigeons voyageurs. Le vent est favorable et souffle du nord-est à 50-60 km/h. Le vol va durer 6 h 30, dans l'obscurité totale, le froid et sous une neige fine. Le Lavoisier va faire un atterrissage brutal dans un arbre à La Ménitré, dans le Maine-et-Loire, à 23 km au sud-est d'Angers, après avoir parcouru 245 km et s'être élevé jusqu'à 2 400 mètres. Le capitaine de Boisdreffre et son « petit matelot » seront soignés par le maire de Beaufort et son adjoint, respectivement pharmacien et médecin. [7]
Pour cet exploit, Sauveur Ledret sera décoré de la Médaille militaire à la promotion de juillet 1871 comme tous les marins aérostiers du siège de Paris.
Après l'épisode du siège de Paris, on le retrouve comme second sur le vapeur Marie, armé à Bordeaux, de juillet 1882 à décembre 1883, puis comme capitaine l'année suivante. En avril 1884, il est inscrit au quartier de Bordeaux. Au moment de son mariage, le 26 août 1879, il demeure au 10, rue de la Course.
Sauveur Ledret trouva la mort probablement à la fin de l'année 1895. Il commandait alors le brick Amitié, bâtiment de 126 tonneaux construit en 1868 et armé à Nantes au cabotage. Le 2 décembre 1895, il avait quitté le port de Sunderland, à l'embouchure de la rivière Wear, sur la côte nord-est de l'Angleterre et se rendait à Concarneau. Il avait à son bord, outre son second, François Joseph Auguste Bernard, né le 12 juin 1840 à Saint-Herblain, fils de Jean-Baptiste et de Marie Teigné, quatre matelots:
Louis Beauplan Angèle, né le 9 août 1871 à Capesterre, Marie Galante, fils de Auguste Angèle et de Marguerite Gaydu.
Jean Eugène Lèbre, né le 17 mars 1877 à Aurillac (Cantal), fils de Eugène et de Marie Barrière
François Marie Auguste Froslin, né le 16 mars 1862 à Pléhédel (Côtes d'Armor), fils de Charles et de Marie Thérèse Brard
Dominique Tuyes, né le 1 novembre 1878 à Cap Breton (Landes), fils de Achile Bruno et Jeanne Marie Germain.
Tous les quatre étaient célibataires. [8]
Tribunal de première instance de Bordeaux
9 février 1898
Source : Archives départementales de la Gironde
Le 17 décembre 1896, le navire était définitivement rayé des matricules comme perdu corps et biens.
C'est par arrêté du 11 mai 1931, que la rue Lamentin fut débaptisée pour prendre le nom de rue Sauveur Ledret. [9]
A ce stade de nos recherches, nous ne savons pas si Charles Sauveur Ledret a eu des enfants ni ce qui est advenu de sa veuve.
Michel Le Carduner
Janvier 2020
après l'incendie de l'hôtel de La Roncière le 11 novembre 1972
Source : Facebook Retrouvez Tous Documents sur Saint-Pierre et Miquelon
Notes
[1] Chevalerias ou Chevaleriat, mariés le 15 janvier 1842 à Bordeaux. Source : Fédération girondine de généalogie : mariages33.fr/mariages/details/1/596489.
[2] Folio 313 N° 618 Maîtres cabotage Saint-Malo.
[3] Michel Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon 1758-1828, Moncton, N.-B., 1984, Les Editions d'Acadie, page 447.
[4] AN C12-25, f° 206 et suiv., cité par Michel Poirier, op. cit., pp. 475-478.
[5] Rodrigue Girardin, Bernard Quélennec, Miquelon Langlade en passant par la dune, 1997, page 239
[6] Archives S.C. 3389. « Le registre des mousses où Sauveur Ledret a été inscrit précédemment est apparemment perdu. » Mention manuscrite.
[7] Pour un récit détaillé de ce vol, voir le prologue de Carrefour des grands raids, Emile Pério, Paris, octobre 1983, Editions Amphora S.A.
[8] Déclaration de décès, Chambre du Conseil de la première Chambre du Tribunal de Première Instance de Bordeaux, 9 février 1898.
[9] Emile Sasco, Historique des rues de Saint-Pierre, Saint-Pierre et Miquelon, 1931, Imprimerie du Gouvernement, p. 22. Voir également https://www.arche-musee-et-archives.net/fr/66-historique-des-rues-de-saint-pierre.html
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