Pierre Frioult
( Saint-Pierre, 22 novembre 1897 - Saint-Pierre, 24 mars 1976)
Le Matricule 126 SPM
Prêt André Frioult
En attribuant, en 1989, le nom de Pierre Frioult à une rue du lotissement Briand, la Municipalité de Saint-Pierre tenait à honorer, au travers de sa personne, la mémoire d’une profession qui a quasi disparu aujourd’hui, mais qui a fait vivre et a nourri des générations de Saint-Pierrais et de Miquelonnais. La petite pêche était un métier dur où tous les membres de la famille étaient mis à contribution. Si Pierre Frioult, comme son fils André après lui, a défendu la France assiégée, il releva d’abord, tout au long de sa vie, le défi quotidien de la subsistance de sa famille, et a contribué à améliorer le sort de la profession.
Pierre Noël Joseph Frioult est né à Saint-Pierre le 22 novembre 1897, de père inconnu et de Elizabeth Joséphine Frioult, née le 3 novembre 1878 à Saint-Pierre, et décédée à Olemps, commune de l’agglomération de Rodez (Aveyron), le 3 novembre 1961. La mère de Pierre a alors 19 ans et vit chez ses parents rue Colbert. Le grand-père maternel, Joseph Marie, marin, meurt en 1903. Sa veuve, blanchisseuse, devra quitter la rue Colbert pour habiter chez sa fille, Anita Frioult, elle-même veuve et mère de deux enfants en bas âge. (1) Le mari de cette dernière, François Gaston Auguste Vidal, est mort en mer le 30 mars 1907 dans le naufrage de la goélette Magdeleine. Avec des revenus de blanchisseuse pour Elizabeth et de couturière pour sa fille, avec quatre jeunes enfants à charge, on imagine aisément que la vie devait être très difficile.
Pierre a tout juste 13 ans quand il embarque comme mousse à bord de la goélette de pêche miquelonnaise Mélanie. Il sera ensuite matelot à l’Île aux Chiens.
Quand la Première Guerre mondiale est déclarée, il est mobilisé et quitte l’archipel à bord du Pro Patria le 8 janvier 1916.
Il est incorporé au 1er Régiment d’infanterie coloniale le 26 janvier 1916 à Cherbourg. Le 13 décembre de la même année, il rejoint, ainsi que Pierre Turgot, son futur beau-frère, Pierre Haran et Louis Tillard, la 5e Batterie mobile de canonniers marins au sein de la division Artillerie Lourde Grande Portée, l’A.P.LG., qu’il rebaptisa A La Grande Pagaille. (2)
En route pour Saint-Pierre
(de gauche à droite) les matelots Pierre Haran, Louis Tillard,
Pierre Frioult et Pierre Turgot
Prêt André Frioult
Le 11 mars 1919, il est affecté au Centre Aviation maritime, après un passage au Dépôt de Lorient le 1er du mois. Le matricule 126 SPM est démobilisé le 27 août 1919, titulaire de la médaille de la seconde bataille de la Marne et de la médaille de la bataille des Flandres.
Deux ans plus tard, le 17 janvier 1921, il épouse Elisa Adèle Reine Turgot, née à l’Île aux Chiens le 13 mars 1900, d’où ses parents, Pierre Dominique Magloire Turgot et Berthe Augustine Marie Legent étaient également originaires. Pierre Turgot exerçait lui aussi le métier de marin-pêcheur.
Ce dernier s'était bâti une solide réputation de pêcheur. Doué d’une robuste constitution, il mettait un point d’honneur à pêcher plus que les autres. Patron dès l’âge de 17 ans, l’hiver, ayant appris jeune la charpente, il construisait des doris et des sloops. (3) (4)
Pierre Frioult et Elisa Reine Turgot auront trois enfants: René, André, et Josepha. René s’établira par la suite en Métropole et Josépha à Montréal.
17 janvier 1921: mariage de Pierre Frioult et Elisa Turgot
Prêt André Frioult
Pierre reprend la mer. Il effectuera un total de 35 campagnes. Le 18 juin 1923, il obtient le brevet de maître au petit cabotage. A compter du 2 juin 1949, il devient officier de port, fonctions qu’il exercera jusqu’au 15 décembre 1962.
La vie de petit pêcheur
On peine à imaginer, aujourd’hui, quel était le quotidien des petits pêcheurs à cette époque.
Quand démarrait la saison de pêche, courant avril, la famille Frioult quittait la maison de la Butte pour s’installer à la Pointe, dans une maison louée à la Morue française. Pour déménager, on avait recours à une charrette à cheval. Du moins jusqu’à ce que Pierre Frioult constate, montre en main, qu’avec un camion, le trajet ne prenait que 7 minutes.
La Pointe
Plan A. Hamon, 1889,
Source: Archives de la Collectivité
Avant que la campagne ne commence, les petits pêcheurs se rendaient au Goulet à la rame (une traversée de 3 heures) pour récolter coques et moules qui, une fois décortiquées, allaient servir de boëtte (d’appât) pour la morue. Ils s’abritaient alors tant bien que mal dans des tauds ou sous des doris retournés. Pierre Frioult obtint du Gouverneur de faire construire une habitation sur place comportant deux logements. De son côté, il fabriqua son propre abri à Saint-Pierre qu’il achemina sur place sur son doris.
Les logements des petits pêcheurs au Grand Barachois (5)
Jusqu’aux grandes vacances, René et André effectuaient deux fois par jour le trajet à pied pour se rendre à l’école primaire. Et souvent, pour rentrer un peu d’argent, ils retournaient en ville vendre du capelan de deux soleils en porte à porte. Car le petit pêcheur n’était payé qu’à la fin de la campagne de pêche, le 29 septembre, la saint Michel. On faisait alors les comptes. De la recette, il fallait soustraire le montant des achats à crédit, et gare aux ménages qui ne tenaient pas une comptabilité serrée. Sur ce chapitre, Elisa était une bonne gestionnaire.
Sur la table, pendant la saison de pêche, c’était le plus souvent du poisson, hormis le dimanche et aussi à l’automne et en hiver quand on tuait les poules. Mais il y avait de la variété: joues, fraises, langues de morue, raie, ... et de la fraîcheur. (6)
La famille Frioult s’agrandit: Après René, debout entre ses parents,
André, sur les genoux de sa mère (1925)
Prêt André Frioult
Le train-stop
Enfance simple, où les deux frères devaient se partager une seule bicyclette, mais où ils eurent le privilège de se rendre au centre-ville en train! Eh oui, car nous sommes dans les années 20-30, période des grands travaux d'aménagement du port, pour lesquels on a construit une voie de chemin de fer pour acheminer les blocs de roche extraits de la “carrière des Italiens” (site de la décharge actuelle) jusqu’au plain. Et l’oncle par alliance des enfants de Pierre n’est autre que Elie Roncaglia, un de ces Italiens que la Compagnie Générale d’Entreprises fait venir chaque année dans l’Archipel. Elie Roncaglia a épousé, le 17 juillet 1928, la soeur de Pierre Frioult, Argentine Georgina Augusta. Mécanicien, il conduit la locomotive Decauville qui tire les wagonnets, et qui passe à proximité de la maison des Frioult à la Pointe. Quand les travaux d’aménagement du port s’achèveront, Elie et sa famille partiront en France pour s’établir à Rodez
Dès les années 30, Pierre Frioult multiplie les prises de responsabilités au sein de sa profession: À partir de 1932, et ce, jusqu’en 1973, il préside le Syndicat des petits pêcheurs. De 1938 à 1942, il est à la tête du Comité consultatif de la pêche locale. De 1947 à 1973, il sera président de la Société des marins de Saint-Pierre. Enfin, de 1969 à 1973, il préside l’association de prévoyance mutuelle des petits pêcheurs. (7)
Le 11 janvier, l’histoire se répétant tragiquement, il assista au départ du Lady Rodney qui emportait vers les champs de bataille européens le contingent saint-pierrais, fort de 118 hommes, dont son fils André.
Fête des marins (8)
Pierre Frioult reçut plusieurs distinctions civiles: chevalier de l’Ordre national du Bénin (1931), Officier du Mérite maritime (1950) et Chevalier de l’Ordre national du Mérite (1969). Cette dernière distinction lui fut remise officiellement le 18 octobre 1969 par le ministre des Départements et Territoires d’Outre-mer, Henri Rey.
Pierre Frioult, le 18 octobre 1969
Photo Michel Briand
Prêt André Frioult
Elisa et Pierre Frioult (9)
Pierre Frioult s’est éteint à Saint-Pierre le 24 mars 1976.
Depuis 1989, par arrêté n° 46 du 2 juin, une rue du lotissement Briand porte son nom. Située à l’ouest du groupe scolaire Henriette Bonin, elle relie la rue Paul Audouze à la rue Antoine Laurelli.
Michel Le Carduner
février 2021
Notes
Recensement 29 novembre 1897, SC 708.
Journal télévisé de SPM Première,15 août 2020.
Le sloop est un petit voilier à un mât maniable et rapide servant à la pêche, autrefois synonyme de cotre. Il servait à pêcher le capelan en grandes quantités, que l’on revendait comme boëtte ou que l’on faisait sécher au soleil pour l’exporter ensuite.
Pour plus de renseignements sur Pierre-Dominique Magloire Turgot, voir: https://gw.geneanet.org/androb?n=turgot&oc=&p=pierre+dominique+magloire
Facebook, Retrouver tous documents sur Saint-Pierre et Miquelon, Publication Maxime Disnard, 17 octobre 2015.
Entretien avec André Frioult, samedi 13 février 2021.
Joseph Lehuenen, “Qu’il fait bon chez vous maître Pierre”, Écho des caps, Semaine du 7 au 14 juillet 1989, page 9.
Facebook, Retrouver tous documents sur Saint-Pierre et Miquelon, publication André Lafargue, février 2020.
Facebook, Retrouver tous documents sur Saint-Pierre et Miquelon, Publication André Robert, 15 mai 2020.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire