Gaëtan Hugues Marie Dupuy-Fromy
( Saint-Brieuc, 1865 - Auteuil, 1930 )
Collection Albin Girardin [1]
Le 7 juin 1928, le Dr Dupuy-Fromy quittait pour la dernière fois l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon à bord du Farnorth, en partance pour Boston. Il y était arrivé pour la première fois le 1er mai 1890, sur le steamer Saint-Pierre, en qualité de médecin auxiliaire de 2ème classe. Trente-huit ans séparent ces deux dates, trente-huit ans durant lesquels il effectua plusieurs longs séjours à Saint-Pierre.
Un Briochin
Gaëtan Hugues Marie Dupuy-Fromy est né à Saint-Brieuc le 17 juillet 1865. Son père, Joseph Marie René, avait alors 41 ans. Originaire de Saint-Malo, ce dernier y avait épousé, le 15 avril 1852, Marie Adèle Cunat, également née dans la cité corsaire le 26 août 1834. A la naissance de Gaëtan, son père exerçait la profession de banquier. La famille occupait une maison rue Derrière Madeleine - l'actuelle rue Saint-Vincent de Paul, dans le quartier Saint-Michel. Deux garçons étaient déjà nés: René Charles, en 1856, et Robert Eugène en 1862. René Charles, associé à Georges Chauveau et Paul Thèves, sera à l'origine, en 1907, de la création de la biscuiterie Société G. Chevreau et Cie, la célèbre Alsacienne, entreprise qu'il quittera en 1919. Son frère Robert Eugène fit une belle carrière dans la Marine nationale. [2]
Le quartier Saint-Michel, à Saint-Brieuc, où habitait la famille Dupuy-Fromy
Source : P. Charruaud, J.-Y. Le Pommelet, Les rues de Saint-Brieuc, Images d'hier et d'aujourd'hui,
Les Presse bretonnes, Saint-Brieuc, 1987
Il semble qu'après la naissance de Gaëtan, la famille ait quitté Saint-Brieuc, puisque leur présence n'est plus attestée par les registres de recensement au-delà de 1861. M. Dupuy-Fromy devait connaître, au cours de cette décennie, des revers de fortune avec la banqueroute du Comptoir d'escompte, la caisse d'escompte de Saint-Brieuc, pour laquelle il fut condamné le 12 juillet 1867. Son épouse décédera en exil à Toulouse en 1895.
Gaétan, après ses études de médecine à l'Ecole de médecine navale de Rochefort, est entré en service le 7 novembre 1889. Sa thèse, soutenue en 1890 à la Faculté de médecine de Bordeaux, s'intitulait De la traction cervicale graduée substituée à la suspension dans le traitement de l'ataxie locomotive.
L'arrivée à Saint-Pierre
A son arrivée à Saint-Pierre, à l'âge de 25 ans, le jeune médecin auxiliaire de 2ème classe prend la direction du Service de santé pour une première période de trois ans (1890-1893) .
En 1905, lorsque l'Administration locale renonça au personnel militaire et que l'hôpital devint « hôpital civil ressortissant au service local » [3], elle dut s'assurer, jusqu'en 1911, le concours de médecins - et de pharmaciens - civils. C'est ainsi que le docteur Dupuy-Fromy, qui, entre-temps, avait démissionné de la Marine [4], servit en tant que médecin contractuel du service local. Il exercera dès lors, exception faite de la période de la Première Guerre mondiale, les fonctions de Chef du Service de Santé jusqu'à son départ définitif de l'Archipel.
Les deux médecins en poste à Saint-Pierre, pour une population de l'ordre de 6 000 habitants, ne devaient pas ménager leur peine et être très polyvalents. C'est ainsi que le Dr Dupuy-Fromy remplaça à plusieurs reprises les pharmaciens de l'hôpital. Il dut même assurer un temps la gérance de la pharmacie de Louis Minier au décès de celui-ci, le 10 avril 1912, pour le compte de ses héritiers. Contraint de quitter l'archipel temporairement, c'est le Dr Louis Thomas qui prit la suite. [5] Les médecins exerçant à l'hôpital visitaient aussi les malades à domicile et procédaient aux accouchements.
La pharmacie Minier, rue Nielly (Albert Briand) - Collection Dr Dhoste
Je t'aime moi non plus
L'année précédente, le 9 février 1904, il avait épousé Louise Marie Joseph Humbert, née dans l'archipel le 9 mars 1875. Louise était la fille d'un négociant de Métropole, Joseph Humbert, et de Marie Dominique Ursule Saint-Paul. Leur mariage ne fut sans doute pas un long fleuve tranquille, [6] car après avoir divorcé le 5 novembre 1915, ils se remarieront à la Mairie du sixième arrondissement de Paris le 17 octobre 1922. L'un des témoins de leur second mariage n'était autre que le Dr Louis Thomas, bien connu dans l'archipel pour y avoir aussi exercé comme médecin, mais aussi pour les nombreux clichés qu'il a laissés de son séjour dans les îles. Leur amitié se sera construite au cours des nombreuses années de leur séjour à Saint-Pierre où ils s'épauleront l'un l'autre. Les époux résidaient alors au 127 du boulevard Raspail. Le Dr Thomas exerçait quant à lui au 105 de la rue de Vaugirard. [7]
On retiendra aussi des premières années du séjour du Dr Dupuy Fromy dans l'Archipel, son duel au Skating Rink, le 25 septembre 1907, avec le maire de Saint-Pierre de l'époque, Paul Mazier. Le motif en était un article intitulé Honneur et prestige que ce dernier avait fait paraître le 31 août dans Le Réveil Saint-Pierrais, et dans lequel il attaquait le Dr Dupuy-Fromy. Lors de ce duel, Paul Mazier fut légèrement blessé et le combat cessa aussitôt. [8]
L'intérieur du Skating Rink
Cliché Littaye ou Bannerman (Collection Andrieux)
La Grande Guerre
Durant la Première Guerre mondiale, le Dr Dupuy-Fromy est tout d'abord affecté au Service de santé de Cherbourg, à l'hôpital temporaire de la Bucaille (1914-1915). Il sera ensuite nommé médecin chef de l'hôpital de Sidi-Abdallah avant de revenir à Cherbourg puis de se rendre à Lorient en qualité d'adjoint au médecin-chef au 3ème dépôt des équipages de la flotte (1915-1916).
Fait chevalier de la Légion d'honneur le 26 juillet 1912, il est affecté, en tant que militaire, pour la période 1916-1918, à Saint-Pierre et Miquelon comme Chef du service de santé. Il était également officier d'académie et titulaire de la médaille d'argent des épidémies.
Le 7 juin 1928, le Dr Dupuy-Fromy quittait définitivement l'archipel à bord du vapeur Farnorth à destination de Boston.
Peu de temps auparavant, le 30 mai, le Gouverneur, Adrien Juvanon, lui avait accordé un congé de convalescence de six mois à passer en France, mettant fin ainsi à sa carrière et à son long séjour à Saint-Pierre et Miquelon.
En outre, en reconnaissance des services rendus à l'archipel, une allocation viagère annuelle de 6 000 francs lui était accordée à compter du 1er janvier 1929.
Retiré à Paris, le Dr Dupuy-Fromy fut nommé, le 20 mars 1930, commissaire des Îles Saint-Pierre et Miquelon à l'Exposition coloniale internationale qui devait se tenir dans la capitale.
Il n'aura pas l'occasion de remplir cette mission, puisqu'il meurt le 2 juin 1930 dans une clinique d'Auteuil à l'âge de 60 ans. Son épouse lui survivra jusqu’en 1960, année où elle décéda, le 22 janvier.
La rubrique nécrologique du numéro 78 du Foyer Paroissial de juin-juillet 1930 apprenait à la population le décès du Dr Dupuy-Fromy en ces termes:
"Un câblogramme expédié de Paris le 2 juin est venu annoncer le décès du Dr Gaëtan Dupuy- Fromy, originaire de Saint-Brieuc, mort à l'âge de 65 ans dans une clinique à Auteuil. Cette nouvelle a causé une surprise pénible dans la population saint-pierraise, où le docteur avait laissé un profond souvenir par son dévouement désintéressé pour les malades pauvres.
Le Dr Dupuy-Fromy, qui s'était retiré à Paris, avait été nommé récemment (20 mars 1930) commissaire des Iles St-Pierre et Miquelon à la prochaine Exposition coloniale internationale de Paris."
In memoriam
Par arrêté du 11 mai 1931, la place Clothilde [9], située devant l'hôpital, fut débaptisée et porte désormais le nom de place Dupuy-Fromy.
Le Dr Dupuy-Fromy devait aussi passer à la postérité d'une autre manière, en servant de modèle à Pierre Enim, l'auteur du roman Ceux de l'épave, pour le personnage haut en couleur du Dr Dutrou-Fourmi, alias lord Fourmigton.[10]
vue depuis l'hôpital
Michel Le Carduner
Avril 2021
Notes
[1] Publication Facebook, Retrouver tous documents sur Saint-Pierre et Miquelon, 14 mars 2019.
[2] ecole.nav.traditions.free.fr
[3]Arrêté du 7 juillet 1905, J.O. des Îles Saint-Pierre et Miquelon, 1905, p.158.
[4] Congé sans solde et hors cadre le 1er juillet 1893 ( Source: Service des Archives et des Bibliothèques de la Marine)
[5] Joseph Lehuenen, Contribution à l'histoire de la pharmacie aux Îles Saint-Pierre et Miquelon (depuis 1816), Saint-Pierre, 1983, p. 42
[6] Une note en date du 24 mai 1922 adressée au Ministre des Colonies y fait allusion et dit du docteur qu'il est "démoralisé par des chagrins domestiques, dont l'Administration a trop souvent subi le contrecoup..."
[7] Acte de mariage.
[8] « A la première reprise M. Mazier a été atteint au dessus du sein droit d'une blessure en seton d'environ sept centimètres. Cette blessure mettant M. Mazier en état d'infériorité, d'un commun accord les témoins ont mis fin au combat. » La Vigie, 25 septembre 1907.
[9] nom donné pour commémorer l'escale que la princesse Clothilde fit à Saint-Pierre, en compagnie du prince Jérôme Napoléon, le 19 juillet 1861. (Source: Ephémérides des Iles St-Pierre et Miquelon, E. Sasco, J. Lehuenen, Saint-Pierre, 1970)
[10] De quelques médecins et pharmaciens de la Marine (puis des colonies) qui servirent aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon au cours du XIXe siècle, par Ch. Guyotjeannin, communication présentée lors de la séance du 24 novembre 1984 à la Société française d'histoire de la médecine.
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