mardi 6 avril 2021

 Richard Bartlett

( Saint-Pierre, 10 juin 1913 – Saint-Pierre, 2 septembre 1981 )

 

Timbre émis en janvier 2010

Dessin: Patrick Derible

Gravure: Yves Beaujard


Un peu d'état civil


Richard Georges Emile Bartlett, ou devrais-je dire Barthelet [1], est né le 10 juin 1913 à Saint-Pierre. Son père est Archibald Richard Bartlett, né à Saint-Pierre le 30 septembre 1887 au domicile de ses parents rue Bisson (actuelle rue Me Georges Lefèvre). Il a épousé, le 26 juillet 1912, à l'âge de 24 ans, Marthe Marie Linckenheyl, née à Paris le 7 janvier 1889.

Les parents d'Archibald sont tous deux terre-neuviens: son père, Benjamin, marin pêcheur, est né à Burin et réside  à Sydney (Nouvelle-Ecosse) à la date du mariage de son fils; sa mère, Maria Clarck [2] , est née sur l'île d'Oderin à l'ouest de la baie de Plaisance [3].  Plusieurs membres de sa famille résident dans l'archipel en cette fin du XIXe siècle. C'est le cas de son cousin Isaac, originaire de l'île d'Odérin, lui aussi charpentier de métier, et qui réside avec sa famille route de l'anse à Ravenel. Il y a également sa cousine Maria, qui a épousé Alfred Briand, originaire de Miquelon.

Les parents de la mariée sont Georges Gaspard Emile Linckenheyl, décédé à Basse-Terre (Guadeloupe) le 4 avril 1890, et Gabrielle Elizabeth Marie Prima, née à Saint-Pierre le 10 octobre 1863. Marthe a un frère, Louis Georges, son aîné de deux ans, né en Guyane, et qui est instituteur comme sa mère. 

Encore célibataire en 1911, Archibald, qui est entré trois ans plus tôt à l'Anglo American Telegraph Co Ltd comme employé télégraphiste, réside à la pension d'Eugénie Miller rue Félix (devenue rue Soeur Césarine en 1931).


Un brillant élève

 

Richard Bartlett va effectuer ses études au Collège Saint-Christophe. Bon élève, il obtient de multiples prix: une mention d'honneur en 1926 alors qu'il est en huitième (CM 1 d'aujourd'hui). L'année suivante, le 13 juillet, il reçoit le Prix d'honneur des mains du Gouverneur Bensch. Cette même année 1927, où il a obtenu 3 prix et 9 accessits, il décroche le Certificat d'études. [4]



L'ancien collège Saint-Christophe, rue Truguet (abbé Pierre Gervain actuelle)



Il poursuivra sa moisson de prix et accessits au Cours supérieur: 2 prix et 6 accessits pour l'année scolaire 1926-1927, à l'issue de laquelle il obtient le deuxième degré du Certificat d'études; 5 accessits pour la Première Division du Cours Supérieur. [5]


Tu seras télégraphiste mon fils

Richard Bartlett commence sa vie professionnelle comme messager du télégraphe.

Mais dès les années 30, son destin va être intimement lié à l'histoire de la radiodiffusion dans l'Archipel.

Au cours de l'année 1930 en effet, un premier émetteur de radiodiffusion est installé à Saint-Pierre par le gouvernement français. Il retransmet l'après-midi les émissions diffusées en ondes courtes depuis Paris. 

Quelques mois plus tard, le 5 janvier 1931, le Radio Club est créé; son premier président sera Mathurin Le Hors. [6]  Un petit studio est aménagé au second étage de la Mairie, relié à l'émetteur par un câble téléphonique de 680 mètres. Les équipements sont rudimentaires: un tourne-disques, un piano, un micro. Richard sera de  l'aventure à partir de 1935.

Le Radio Club va assurer la diffusion quotidienne des émissions de Métropole ainsi que la production de quelques émissions locales jusqu'à la déclaration de guerre en septembre 1939.


L'Archipel Libre


Avant même l'arrivée des corvettes de la France Libre, la T.S.F. constituait déjà un enjeu dans la lutte entre les défenseurs du gouvernement de Vichy et les partisans de de Gaulle. C'est ainsi que le gouverneur de Bournat avait interdit d'écouter les radios anglaise et américaine.  Pourtant, le 12 décembre 1841, un drapeau à croix de Lorraine flottait sur le mât de la station de T.S.F. Et au lendemain du ralliement, la radio de Vichy annonçait que les îles étaient à feu et à sang et que l'évêque avait été fusillé. [7]

Au début de 1942, les installations sont remises en état et un Service de l'Information est créé par arrêté du 23 février. Bien que son effectif soit très restreint (3 personnes) il va assurer chaque soir, de 20 h 30 à 21 h 30, la diffusion des informations et communiqués locaux, nationaux et internationaux. La station "Radio Saint-Pierre" est née.


 La Liberté, 31 janvier 1942, page 4


                Richard Bartlett est embauché officiellement par le Service de l'Information. 

En 1941, son père Archibald a pris la direction de la Western Union Telegraph Company. Il en restera le directeur jusqu'à sa mort, le 4 juillet 1948, en son domicile de la rue Borda. Depuis 1937, il était vice-consul d'Angleterre à Saint-Pierre. Il le sera de nouveau de 1941 à 1948. Il figure, début 1942, sur la liste des promus dans l'Ordre de l'Empire Britannique [8] pour services rendus à la Résistance.  [9]

Richard n'est pas en reste. Gaulliste de la première heure, il a reçu la médaille des services volontaires de la France Libre et quand le général de Gaulle visite Saint-Pierre le 20 juillet 1967, il a l'insigne honneur d'être reçu en entretien privé.

 


FNFL et Saint-Pierrais fêtent la victoire 

Richard Bartlett à gauche, n° 3

Collection Yvon Renou

Dès 1958, il devenait le délégué-adjoint de l'association pour le soutien de l'action du Général de Gaulle puis délégué général adjoint du Souvenir français.


La France en Amérique du Nord, bonsoir.


Après guerre, Richard Bartlett va incarner la Voix de la France en Amérique du Nord.  Mais il va lui falloir attendre  1956 pour se voir reconnaître le statut de speaker. De 1951 à 1954, il avait le statut de typographe en charge du Journal Parlé, puis d'ouvrier imprimeur de 1954 à 1956.

Les conditions de travail vont demeurer longtemps très précaires. En 1945, faute de crédits, le studio emménage dans un local délabré; l'équipement reste rudimentaire et l'équipe est réduite à quatre personnes, où la polyvalence était de mise.

Fin 1953, la station emménage dans de nouveaux locaux, mais les horaires de diffusion ne changent pas, exception faite du dimanche où l'émission dure de 19 h 30 à 21 h 00. 

C'est cette même année 1953, que le 21 octobre, Richard Bartlett épouse Lucie Victoria Letournel, la fille de Camille Auguste Letournel et Alice Lahiton, née à Saint-Pierre le 14 janvier 1925. Un an plus tard naîtra leur fils unique Georges. Celui-ci garde le souvenir d'un père qu'il voyait peu, tout à son métier, d'un homme très pieux, qui emmena la famille en pélerinage. La famille allait en vacances à Sydney, où il avait des cousins. 



Richard Bartlett et son épouse Lucie Victoria Letournel

dans leur jardin de la rue Amiral Muselier

Prêt Georges Bartlett

L'installation d'un nouvel émetteur en 1955 et l'apport d'équipements plus modernes permettent d'étendre le temps d'antenne à 3 h 30. (12 h 00 à 13 h 00 et 19 h 00 à 20 h 30).

Au début des années 60, Radio Saint-Pierre diffuse 35 heures par semaine et la maison de la radio est inaugurée le 11 avril 1964 rue Gloanec. Elle subira, en décembre 1966, un incendie qui réduira la station de radio au silence pendant plusieurs jours. [10]

Quand on sait que la télévision a fait ses débuts à Saint-Pierre en 1967, on saisit mieux l'importance de la radio jusque là, comme en a témoigné Andrée Olano dans l'Echo des caps n° 1479 en avril 2017. [11] Les enfants d'alors se souviendront sans doute qu'il prêta sa voix à Gros Nounours.



 La famille Bartlett
Assis à l'extrême droite, Archibald Bartlett, au centre de la table, Alice Lahiton, la belle-mère de Richard;
debout au centre Richard Bartlett; à sa gauche, ceinte d'un diadème de mariage, son épouse, Lucie Letournel
Prêt Georges Bartlett

Richard Bartlett a accompagné et vécu toutes ces évolutions. Il posséda aussi l'une des toutes premières voitures de Saint-Pierre.

Il décède le 2 septembre 1981 à son domicile rue Amiral Muselier. Beaucoup se souviennent d'avoir reçu longtemps le bonjour de son épouse, assise dans son tambour. Celle-ci s'éteindra le 8 janvier 2006.

C'est le 18 juin 1986 qu' Albert Pen procédait au baptème officiel de la rue Richard Bartlett  et rendait hommage à un homme plein de sang-froid, discret et ponctuel. [12]

En attribuant le nom de Richard Bartlett  à la partie de la rue Desrousseaux [13] passant devant la station RFO , le conseil municipal de Saint-Pierre faisait droit à une demande de Jean-Paul Dunan au nom du personnel de l'audiovisuel.

La mémoire de Richard Bartlett a été honorée également  par la parution, le 13 janvier 2010, d'un timbre dessiné par Patrick Derible.




                                                                                                            Michel Le Carduner

 

                                                                                                                Décembre 2019




Notes


[1] C'est ainsi que son acte de naissance comme ceux de son  père et de son grand-père étaient orthographiés, jusqu'à ce que le tribunal de Saint-Pierre, saisi par le père de Georges, décide, par jugement en date du 16 juillet 1920, de rétablir l'orthographe Bartlett, comme celle de l'arrière-grand père de Richard. Mais après tout, pourquoi ne pas avoir conservé l'orthographe Berthelet, quand on sait que le patronyme remonte à la conquête de l'Angleterre par les Normands en 1065 et que l'ancêtre, établi dans le Sussex en 1069, s'appelait Bartolott. On trouve aussi, entre autres, la graphie Bartolet ou Bartholot.

[2] Marianne sur son acte de décès.

[3] La population de l'île a été dispersée en 1966.

[4] Foyer paroissial, No 7, juillet 1926, p. 105 et  1927 p. 127.

[5] Foyer paroissial, No 67, pp. 160-161 et Foyer paroissial No 80, p. 197.

[6] Foyer paroissial, No 85, p. 12

[7] Louis de Villefosse, Les Iles de la liberté, Paris, Albin Michel, 1972, Chapitre V, L'île assiégée

[8] Most Excellent Order of the British Empire, ordre de chevalerie du système honorifique britannique établi en 1917 par le roi Georges V.

[9] Douglas G. Anglin, The St-Pierre and Miquelon Affaire of 1941, A study in diplomacy in the North Atlantic Quadrangle, University of Toronto Press, 1966, p. 174.

[10] De la naissance des ondes à l'aventure télévisuelle, RFO. La partie du document consacrée à l'histoire de la radio locale s'est appuyée sur des notes manuscrites de Richard Bartlett.

[11] Écho des caps, No 1479, jeudi 20 avril 2017, page 07.

[12] Écho des Caps, No 205, vendredi 20 juin 1986.

[13] Capitaine de corvette commandant de la colonie de 1842 à 1845. La rue Desrousseaux, dont on retrouve trace dès 1862, a été débaptisée en deux, voire trois temps. Tout d'abord, en 1979, la portion allant de la rue Pasteur à la montagne a pris le nom de rue des Écoles. Puis, en 1986, suite à deux arrêtés, la portion de la rue du Docteur Dunan à la rue Maitre Georges Lefèvre, puis celle de cette dernière à la rue Louis Pasteur, sont devenues la rue Richard Bartlett.


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