Soeur Césarine
(Lugan, 23 mars 1845 – Saint-Pierre, 9 mars 1922)
Soeur Césarine
(Prêt Jérôme Garcia)
Le 11 mai 1931, Félix Lazare tombait dans l'oubli. On venait de débaptiser la rue qui portait son nom, celle-là même où il avait jadis tenu boutique de cordonnier quand elle s'appelait encore rue du Cimetière, tout simplement parce qu'elle partait de l'église et se terminait au cimetière. Désormais, ce serait la rue Soeur Césarine, que l'on emprunte pour se rendre de la rue Maréchal Foch à la rue Saint-Ollivier, qui longe le flanc nord-ouest de la cathédrale. C'est la vie de Soeur Césarine, dont la silhouette et le visage sont restés longtemps gravés dans les mémoires de Saint-Pierrais, que nous allons évoquer ici.
à La Miquélie en Lugan, Aveyron
(Photo Jérôme Garcia)
Marie Virginie Cavaignac est née à La Miquélie, hameau de la commune rurale de Lugan dans l'Aveyron, le 23 mars 1845. Son père, alors âgé de 32 ans, était cultivateur, comme son père avant lui. Pierre Paul Cavaignac avait épousé à Montbazens (Aveyron), le 4 juillet 1842, Marie Anne Rose Cavaillac, native de Lugan. Ensemble, ils auront huit enfants, dont six garçons et deux filles. Marie Virginie était la deuxième de la fratrie.
En 1864, Marie Virginie quitte son village natal pour Paris et la maison mère des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny, où elle est admise à la profession de foi le 17 septembre 1866. Aussitôt après, elle est envoyée à Canton, en Chine, ``où elle va se dévouer pendant eux ans au ``sauvetage``des corps et des âmes de petits Chinois abandonnés.`` Après dix-huit mois de séjour, atteinte d'ophtalmie, elle doit rentrer en France en 1869 pour y subir une opération qui la privera de l'usage de son œil droit pour le restant de ses jours.
A la suite du décès, le 8 mai 1868, de la Très Révérende Mère Rosalie Javouhey, la plus jeune sœur de la fondatrice de la congrégation, la Supérieure principale des communautés de l'Archipel, Mère Marie Joseph Vernet, se rend à Paris pour participer aux élections au généralat. Soeur Césarine fera le voyage de retour avec elle. Elles arrivent à Saint-Pierre le 14 septembre 1869.
Rosalie Javouhey, la plus jeune des sœurs de Anne Marie Javouhey,
fondatrice de la congrégation des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny
Source : Wikipédia
A Saint-Pierre, Soeur Césarine va servir à l'Hôpital militaire en qualité de garde-sanitaire. Peu après son arrivée dans l'Archipel, elle a l'occasion de donner la dimension de son courage et de son dévouement. En avril 1870 en effet, un bateau arrivait à Saint-Pierre avec sept cas de variole à son bord. La mise en quarantaine fut décrétée et les malades furent consignés au lazaret ouvert sur l'île aux Vainqueurs l'année précédente. [1] L'ensemble se constitue de quelques cabanes en planches, d'un modeste logis pour le gardien et d'un enclos où poussent quelques rares légumes.
Sur cette île, Soeur Césarine fait office de prêtre, de médecin, de directrice, d'infirmière, de cuisinière. Chaque jour, un petit vapeur ravitaille les habitants du lazaret et leur apporte vivres et médicaments. Une barque à fond plat effectue habituellement le transbordement. Mais par gros temps, la nourriture était confiée aux vagues. Pain et viande échoués sur le rivage étaient passés à l'eau douce puis séchés avant d'être servis aux malades.
Collection Dr Dhoste
Soeur Césarine effectuera pas moins de huit séjours à l'île aux Vainqueurs , comme en témoigne une lettre qu'elle adresse en avril 1874 à sa Supérieure générale. Pour son dévouement, par décision du ministre de la Marine et des Colonies rendue le 24 octobre 1885, et sur proposition du commandant des îles, une médaille d'or de première classe lui était décernée.
L'île aux Vainqueurs aujourd'hui
(Photo de l'auteur, 20 juillet 2019)
L'année suivante, au printemps 1886, une nouvelle épidémie de variole noire se déclarait à Saint-Pierre. L'Administration décida alors d'acquérir une propriété appartenant à Jean-Louis Callais et qui servait de « café », située approximativement à l'emplacement du stand Henri Sautot. Dans ce que les documents appellent indifféremment « ambulance annexe », « annexe de l'hôpital » ou « sanitarium », Soeur Césarine va prodiguer ses soins aux varioleux. L'isolement y était beaucoup moins rigoureux et le ravitaillement se faisait plus facilement qu'à l'île aux Vainqueurs. Un médecin de l'hôpital visitait les malades tous les jours.
Le lazaret Robinson de Savoyard, pignon ouest
Archives de Saint-Pierre et Miquelon
Une seconde médaille d'or de première classe viendra récompenser les efforts de Soeur Césarine. Le gouverneur la lui remit officiellement le 7 décembre 1887 [2]
On retrouve encore, sur le relevé des dépenses de personnel et de matériel effectuées en 1892 au compte du « sanitarium » le nom de Soeur Césarine. En 1903, par une dépêche du 22 août, elle recevait du ministre des Colonies un témoignage officiel de satisfaction pour le zèle et le dévouement dont elle avait fait preuve, ainsi que la sœur Eloïse, lors de l'épidémie de fièvre typhoïde de 1903-1904. Elle recevra encore deux autres médailles pour sa fabrication d'huile de foie de morue.
En avril 1904, c'est la laïcisation des hôpitaux. Le mois suivant, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny doivent quitter l'hôpital. Elles sont accueillies au Pensionnat Saint-Louis de Gonzague.
Jusqu'à sa mort, d'une pneumonie double, au siège de la communauté, le 9 mars 1922, Soeur Césarine y soignera les soeurs malades et aidera à la cuisine. Le gouverneur, ainsi qu'une foule nombreuse, assisteront à ses funérailles, que la colonie prit à sa charge. Elle avait vécu 53 ans dans l'Archipel, dont trente-cinq au service des malades et des indigents de Saint-Pierre et Miquelon et d'ailleurs.
Soeur Césarine était dotée d'une constitution, d'une énergie et d'une résistance hors du commun. En Chine, elle supporta la chaleur et les privations ; sur l'île aux Vainqueurs et au lazaret Robinson, les rigueurs du climat, l'inconfort des habitations et l'exposition aux maladies.
(Cliché de l'auteur, août 2019)
Michel Le Carduner [3]
avril 2021
Notes
[1] On peut lire, dans Les Ephémérides de Sasco et Lehuenen, Saint-Pierre, Imprimerie du Gouvernement, 1970, à la date du 10 juillet 1869:
« L'amiral, commandant la division des Antilles, télégraphie de Fort Monroë au commandant de la colonie, d'avoir à prendre toutes les dispositions nécessaires pour recevoir à terre l'équipage du brick de guerre Le Curieux atteint de la fièvre jaune et en route pour Saint-Pierre à la remorque de la frégate Sémiramis. La construction des logements est entreprise d'urgence à l'île-aux-Vainqueurs. A l'arrivée du Curieux, dans la nuit du 16 au 17 juillet, l'établissement devant servir de lazaret peut recevoir l'équipage contaminé. »
[2] Op. cit., 7 décembre 1887.
[3] Première publication dans L'Echo des Caps, No 23, avril 1984, pp. 19-21
Timbre émis en juillet 1995
Maquette : Patrick Guillaume
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