Paul-Aristide Mazier
( Saint-Pierre, 2 décembre 1851 – Paris, 13 décembre 1912 )
Tel père tel fils ou D'un Mazier l'autre
Paul Mazier, ceint de l'écharpe tricolore de maire
et arborant sa Légion d'honneur
Collection Jean-Louis Légasse
Quand, le 23 mai 1953, le conseil municipal de Saint-Pierre décidait de débaptiser la rue Délécluse pour lui donner le nom de Gloanec, sans précision du prénom, c'était pour rendre hommage à la fois à François Louis Gloanec pour les "nombreux actes de courage et de dévouement durant son séjour à Saint-Pierre de 1860 à 1880" et perpétuer "la mémoire d'Emile Gloanec, son fils, pour les nombreux services rendus par ce dernier qui fut maire de Saint-Pierre de 1924 à 1936." [1]
On aurait pu procéder de même quand, en 1931, par arrêté du 11 mai, la rue Neuve devenait la rue Paul Mazier. Elle aurait fort bien pu s'appeler simplement rue Mazier, honorant ainsi François-Jacques, le père, et Paul-Aristide, le fils, unis par le commerce et l'engagement politique local.
La rue Neuve
(Collection Jean-Louis Légasse)
Un peu d'état civil
Paul-Aristide Mazier est né à Saint-Pierre le 2 décembre 1851, l'aîné de quatre enfants. Viendront après lui Louis Constant, le 11 mars 1853,Virginie Caroline, le 2 octobre 1855, et Caroline-Marie le 2 novembre 1859, qui décédera la même année .
Leur père, François-Jacques, est né le 26 avril 1822 à Roz-sur-Couesnon en Ille et Vilaine et est arrivé dans l'archipel en 1844-45 en qualité de commis négociant pour une maison malouine. Sa mère est Caroline-Euphémie Dagort, née à Saint-Pierre le 15 février 1832. La famille Dagort est établie dans l'archipel depuis plusieurs générations. Le père de Caroline, Louis Laurent, est boulanger, comme son père avant lui. Caroline-Euphémie mourra le 7 mai 1876, à seulement 44 ans.
François-Jacques: le père
Au milieu des années 1860, François-Jacques, dont le père était agriculteur, est déjà un négociant armateur bien établi dans l'île. La trace de son aisance financière est encore bien visible de nos jours place du Général de Gaulle. En 1862 en effet, François-Jacques Mazier acquerrait un terrain à l'angle des rues Bisson et Saint-Louis ( rues Me Georges Lefèvre et Pierre L'Espagnol actuelles) sur lequel il faisait construire un bâtiment en brique abritant un commerce et un logement. Par le jeu des successions et des transactions, transformé et agrandi, l'édifice abrite aujourd'hui La Maison du cadeau et , depuis 2003, le Musée Héritage. [2]
Collection Jean-Louis Légasse [3]
François-Jacques Mazier était très impliqué dans la vie locale. Pour preuve: trésorier du Bureau de bienfaisance (1865), capitaine de la milice (1865), membre de la Commission sanitaire (1865), vice-consul d'Espagne (1867), membre du Conseil d'administration (1871), membre de la commission chargée de la répartition de l'impôt et du classement des patentes (1866-1871), Président des premières élections de la Chambre de commerce (1871), Président de la Commission chargée de faire le recensement de la population (1872). [4]
A compter du 7 mai 1873, il devient le troisième maire de Saint-Pierre, après les démissions successives de Victor Cordon et Désiré Brindejonc et la dissolution du conseil municipal issu des élections des 3 et 10 novembre 1872. Dès le 27 juillet 1874, la Mairie s'installe rue de l'Hôpital, dans l'édifice qu'elle occupe encore aujourd'hui. Maison d'habitation acquise quelques mois plus tôt, elle fait l'objet de transformations exécutées `"par des artisans locaux, des disciplinaires et même des prisonniers." Le maire règle souvent sur ses propres deniers les factures dont le règlement est exigible à la livraison. [5]
Source: Collection Dr Dhoste
D'abord désigné par le Commandant, François Mazier sera reconduit dans ses fonctions lors des élections municipales du 7 novembre 1875. Son mandat sera toutefois de courte durée, puisqu'il va quitter l'archipel avec sa famille le 21 novembre 1877 sur le vapeur Curlew. A Saint-Jean de Terre-Neuve, ils embarquent sur un paquebot à destination de Londres. Après un court séjour à Saint-Malo, ils s'établissent à Paris, 10, rue de la Chaussée d'Antin. [6]
SS Curlew, avant 1926 [7]
La multitude des fonctions de François Jacques Mazier lui vaudra d'être nommé, par décret du 21 août 1874, chevalier de la Légion d'honneur, tout comme son fils vingt ans plus tard, le 1er août 1894.
Paul-Aristide: le fils
Quelques jours avant le départ en Métropole de son père, son fils aîné Paul-Aristide épouse, le 15 novembre 1877, Marie Eugénie Cécile Léonie Talvande. Fille d'un commerçant malouin établi dans l'archipel depuis les années 1845-50, elle est née à Saint-Pierre le 22 septembre 1857. [8] Le couple aura trois enfants: Marie-Caroline, le 13 novembre 1878, Paul, le 4 décembre 1880, et Fernand, le 12 avril 1882. Ces deux derniers se marieront à la Mairie du XVIIe arrondissement de Paris, respectivement le 10 octobre 1909 et le 30 mai 1914, tous deux avec des demoiselles Clément. [9]
La carrière politique de Paul-Aristide Mazier commence en 1881. Élu conseiller municipal le 24 avril, il devient maire le 25 juillet de l'année suivante. Il sera réélu tour à tour le 13 mai 1888, le 22 novembre 1889 et le 16 mai 1892.
En 1885, il est élu à la tête du Conseil général. L'organisme vient d'être créé par décret du 2 avril de la même année. La séance inaugurale, le 17 août, revêt un faste particulier et se déroule dans la grande salle d'audience du Palais de justice, décorée pour l'occasion.
Aux élections partielles d'avril 1888, Paul Mazier est réélu au second tour, Jacques Dupont prenant la présidence du Conseil général. Il retrouve son siège en 1891 et en 1894. Malgré les accusations de favoritisme à l'endroit de certains entrepreneurs et fournisseurs de la commune, allégations relayées par le gouverneur de l'époque, il retrouve la présidence du Conseil général en 1896, la nouvelle équipe faisant bloc autour de sa forte personnalité. Mais ce succès sera de courte durée, car l'assemblée locale est dissoute l'année suivante. En 1895 déjà, en créant quatre circonscriptions pour Saint-Pierre, l'Etat avait cherché à affaiblir le Conseil général, dont la plupart des membres siégeait également au Conseil municipal. Il faudra attendre 1945 pour assister au rétablissement des communes et l'année suivante pour voir celui du Conseil général. [10]
La rue Paul Mazier
après l'incendie de La Roncière (11 novembre 1972)
Collection privée
Tout comme son père avant lui, Paul-Aristide Mazier multiplia les responsabilités: Président du Bureau de bienfaisance, de la Caisse d'Epargne, de la Commission des patentes et de l'impôt, du Conseil d'hygiène. Il siégea également quatre ans au Tribunal de commerce. En 1891, à sa création, il intègre le Comité consultatif de l'instruction publique, chargé de donner son avis à l'Administration et au Conseil général sur les questions d'éducation.
C'est sous la mandature de Paul-Aristide Mazier qu'ont été construits tous les quais de soutènement bordant la partie nord du Barachois ainsi que deux cales, que des conduites d'eau ont été mises en place rue Jacques Cartier et de la Poudrière (future rue Léon Leborgne puis Marcel Bonin). Il coordonna à de nombreuses reprises les opérations de secours lors d'incendies. Il fut aussi vice-consul d'Espagne à compter du 25 octobre 1876, et ce jusqu'en 1909. [11]
Dans ses doubles fonctions de Maire de Saint-Pierre et de Président du Conseil général, cumul qui dut faciliter les démarches, notamment pour boucler le budget, il a grandement contribué à la construction de la nouvelle école des Frères de Ploërmel sur le site de l'ancien cimetière désaffecté depuis 1858. Édifice en bois de 60 mètres de long sur 15 de large, il a dominé le centre-ville de Saint-Pierre jusqu'en 1974. Les travaux durèrent deux ans et les Frères de Ploërmel y entrèrent le 18 avril 1891. [12]
En 1906, il brigue une seconde fois le poste de Délégué au Conseil supérieur des Colonies, mais est battu par Louis Légasse, titulaire du poste. Nous sommes dans un contexte de crise économique profonde qui pousse de nombreuses familles à émigrer au Canada ou aux Etats-Unis et même certains à prôner le rattachement de l'archipel aux Etats-Unis... et la candidature de Théodore Roosevelt Jr à ce poste.
Paul-Aristide Mazier prend, la même année, la présidence du Syndicats des armateurs et siège au Tribunal criminel (l'équivalent local de la cour d'Assises) comme assesseur.
S'il réside toujours quai de la Roncière fin 1907 [13], il semble avoir quitté l'archipel peu après. Le contexte économique et politique dans l'archipel n'est sans doute pas étranger à son départ: crise profonde de la pêche, conflit de l'école libre et rapports pour le moins tendus entre adversaires politiques, qui en venaient parfois aux mains, voire aux armes. Qu'on en juge par les échanges au vitriol par Vigie et Réveil Saint-Pierrais interposés. [14] C'est d'ailleurs un article paru le 31 août 1907 intitulé Honneur et Prestige qui fut cause d'un duel au Skating Rink, le 25 septembre de la même année, entre le Dr Dupuy-Fromy et le maire Mazier. Ce dernier fut légèrement blessé et le combat cessa aussitôt.
Paul-Aristide Mazier décédera à Paris le 13 décembre 1912. [15]
Son fils, Paul Eugène, qui s'était marié à Paris le 10 octobre 1909 à la Mairie du XVIIe arrondissement à Henriette Jeanne Clément (1890-1974) a eu trois enfants en France. Puis le couple s'est établi en Nouvelle-Écosse à Hectanooga, dans le comté de Digby, au sud-ouest de la province. Trois autres enfants y naîtront. [16] Paul Eugène est décédé en 1951 et son épouse en 1974. Ils reposent dans le cimetière d'Hectanagoo.
La tombe de Paul-Eugène Mazier, fils de Paul-Aristide,
et de son épouse Henriette Jeanne Clément
au cimetière d'Hectanooga (Nouvelle-Ecosse)
Source: https://claretownship.ca/?gm-jump=hg100058
Michel Le Carduner, mai 2021
Notes
[1] voir Echo des caps, juin 1984, pp. 19-21.
[2] www.musee-heritage.fr/about/about.html
[3] On aperçoit, sur la gauche du bâtiment, les deux pavillons d'entrée détruits lors des travaux d'agrandissement de 1927.
[4] Base Lénore Dossier LH/1812/10
[5] Rodrigue Girardin, 120 ans de municipalités, 1 janvier 1999, https://www.saintpierreetmiquelon.net/1011999-120-anss-de-municipalites/
[6] Rose-Marie Reux, François Mazier, Premier maire de Saint-Pierre-de-Terre-Neuve, dans L'Etat et vous, Numéro 60, septembre 2013 et Numéro 61, janvier 2014.
[7] The SS Curlew transported mail and passengers along the Newfoundland and Labrador coast in the 2nd half of the 19th century. Photographer unknown. Reproduced by permission of Archives and Special Collections (Coll 137 24,02,009) Queen Elizabeth II Library, Memoral University of Newfoundland, St John's, NL
Source:https://www.heritage.nf.ca/articles/society/19th-communications-transportations.php
[8] E. Sasco, Joseph Lehuenen, Ephémérides de Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Pierre, Imprimerie du Gouvernement, 1970.
[9] Registres d'état civil, Mairie de Saint-Pierre
[10] Dominique Guillaume, Saint-Pierre et Miquelon, Du commandement de la colonie au Conseil général de la Collectivité, 1844-1994, Gescom SARL, mars 1995.
[11] Base Lénore Dossier LH/1812/17
[12] Alice Reux-Bonin, 1819-1919 Un siècle d'enseignement à Saint-Pierre et Miquelon, Nonancourt, Farvacque S.A., janvier 1987.
[13] Recensement de la population, 17 novembre 1907, Archives SC 3289.
[14] www.arche-musee-et-archives.net
[15] Dominique Guillaume, op. cit., page 499.
16] Source: Patricia Mazier, petite fille de Paul Eugène François Georges Mazier
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